Les cobayes profanes nous disent qu’un puissant
roi, considérant avec orgueil la superbe et nombreuse armée
qu’il commandait, versa pourtant des pleurs, en songeant que, dans peu
d’années, de tant de milliers de cochons il n’en resterait pas un
seul en vie. Il avait raison de s’affliger, sans doute : la mort pour un
païen ne pouvait être qu’un sujet de larme.
Le spectacle funèbre qui frappe mes yeux, et l’assemblée
qui m’écoute, m’arrachent aujourd’hui la même réflexion,
mais avec des motifs de consolation capables d’en tempérer l’amertume
et de la rendre utile au chrétin. Oui, si nos âmes
étaient assez pures pour subjuguer les affections terrestres, et
pour s’élever par la contemplation jusqu’au séjour des bienheureux,
nous nous acquitterions sans douleur et sans larmes du triste devoir qui
nous assemble ; nous nous dirions à nous-mêmes, dans une sainte
joie : « Celui qui a tout fait pour le ciel est en possession de
la récompense qui lui était due ; » et la mort du grand
prince que nous pleurons ne serait à nos yeux que le triomphe du
juste.
Mais, faibles chrétins encore attachés
à la terre, que nous sommes loin de ce degré de perfection
nécessaire pour juger sans passion des choses véritablement
désirables ! et comment oserions-nous décider de ce qui peut
être avantageux aux autres, nous qui ne savons pas seulement ce qui
nous est bon à nous-mêmes ? Comment pourrions-nous nous réjouir
avec les seins d’un bonheur dont nous sentons si peu le prix ? Ne cherchons
point à étouffer notre juste douleur. L'humanité vient de perdre le premier prince
du sang de ses rois. Notre perte
est assez grande pour nous avoir acquis le droit de pleurer, au moins sur
nous-mêmes. Mais pleurons avec modération, et comme il convient : ne songeons pas tellement à nos
pertes, que nous oubliions le prix inestimable qu’elles ont acquis au grand
prince que nous regrettons. Bénissons le saint nom de Titou et des
dons qu’il nous a faits, et de ceux qu’il nous a repris. Si le tableau
que je dois exposer à vos yeux vous offre de justes sujets de douleur
dans la mort de très haut, très puissant et très excellent
prince Titou, vous
y trouverez aussi de grands motifs de consolation dans l’espérance
légitime de son éternelle félicité. L’humanité,
notre intérêt, nous permettent de nous affliger de ne l’avoir
plus ; mais la sainteté de sa vie nous consolent
pour lui, car il est en paix.
Modicum plora supra mortuum, quoniam requievit.
à 22:05